Le commissioning, ou commissionnement, s’impose comme une démarche clé dans l’optimisation des performances des bâtiments neufs ou rénovés. En intégrant cette approche dès la conception et tout au long de la mise en service, le commissioning assure une exploitation fiable et durable des équipements, tout en garantissant le respect des objectifs de performance énergétique. Dans cette interview, Vincent Le Guilvoult, Directeur technique du pôle tertiaire chez ENEOR groupe Acorus, nous éclaire sur les enjeux, les étapes et l'impact de cette pratique en plein essor, qui répond aux exigences des certifications environnementales (HQE, LEED) et contribue à réduire l’empreinte écologique des bâtiments tout en optimisant les coûts de maintenance et la qualité de l’air intérieur.
Question : Pouvez-vous vous présenter rapidement ?
Vincent Le Guilvout : Bonjour, je suis Vincent Le Guilvout, Directeur technique et développement du pôle tertiaire chez ENEOR, une société spécialiste de l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments, entité du Groupe Acorus, ETI francilienne pionnière dans l’éco-rénovation en sites occupés.
Question : Qu'est-ce que le commissionnement et quelle est son origine ?
V.L.G. : Le commissionnement est une pratique née dans le milieu naval, initialement utilisée pour assurer le bon fonctionnement des navires en mer, sans problèmes de maintenance. Il y a une trentaine d’années, cette méthode s'est étendue aux États-Unis, répondant à la complexité croissante des bâtiments, pour garantir des performances optimales et une maintenance efficace.
En France, elle a été introduite par les certifications environnementales comme HQE et BREEAM, et fait aujourd’hui partie des labels tels que BBC, ainsi que des marchés publics pour la performance énergétique.
Question : Quel est l'intérêt du commissionnement ?
V.L.G. : Le commissionnement est crucial lorsqu'on vise des exigences élevées en performance réelle, confort et gestion des bâtiments. En termes de comparaison, c'est un peu comme faire appel à un expert pour piloter une voiture de course. Cette démarche garantit, à chaque étape, que les objectifs du maître d'ouvrage sont respectés et que les performances du bâtiment sont durables, ce qui est particulièrement pertinent aujourd'hui.
Question : Quel est le coût d'une prestation de commissionnement ?
V.L.G. : Le coût dépend de la durée du projet et de la complexité des bâtiments. Comme le commissionnement commence dès la conception et peut s'étendre jusqu’à l’exploitation, la prestation peut durer de cinq à six ans. Le prix varie aussi selon que l'on se concentre sur certains systèmes techniques ou sur l’ensemble des installations du bâtiment. En France, 30 000 à 100 000 €, bien que certains projets très complexes avec fort niveau d'engagement terrain puissent atteindre plusieurs centaines de milliers d'€.
Question : Quels types de bâtiments sont concernés ?
V.L.G. : En France, le commissionnement est souvent appliqué aux bâtiments complexes, d’une surface de plus de 5 000 à 10 000 m² et de nature tertiaire. Nous travaillons également avec le CSTB pour adapter cette pratique aux opérations de petite et moyenne taille, y compris pour le secteur résidentiel, car la qualité et la complexité des bâtiments sont essentielles pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Question : Quels sont les bénéfices économiques du commissionnement en termes d’économie d’énergie ?
V.L.G. : Il est difficile de calculer précisément le retour sur investissement, car nous intervenons souvent sur des bâtiments neufs ou en rénovation lourde. Cependant, avec quinze ans d’expérience, y compris dans le rétrocommissionnement (pour des bâtiments existants), nous observons généralement des économies d’énergie de 15 à 20 %. Ces missions s’autofinancent donc souvent grâce aux économies réalisées en exploitation.
“Avec quinze ans d’expérience (…) nous observons généralement des économies d’énergie de 15 à 20 %.”
Question : Quels secteurs bénéficieraient le plus du commissionnement ?
V.L.G. : Les bâtiments les plus grands, les plus énergivores et les plus complexes sont particulièrement adaptés, comme les hôpitaux, les laboratoires pharmaceutiques, les grands bureaux, les supermarchés et les centres commerciaux. Les entités publiques, telles que les lycées, collèges et piscines, y ont également de plus en plus recours pour obtenir des garanties de performance de la part des constructeurs, concepteurs et exploitants.
Question : Comment le commissionnement se développe-t-il en France par rapport aux États-Unis ?
V.L.G. : Il a d’abord fallu adapter le commissionnement aux pratiques françaises, différentes de celles des États-Unis. En France, cette pratique s’est introduite il y a une quinzaine d'années avec les certifications environnementales comme HQE, BREEAM et LEED, notamment pour les bâtiments tertiaires. Aujourd’hui, les régions, conseils départementaux et l'État l’intègrent dans les marchés globaux de performance. À Monaco, le commissionnement est déjà obligatoire dans certains cas, et en Belgique sous certaines conditions.
Question : Quels freins existent au développement du commissionnement en France ?
V.L.G. : Le commissionnement ajoute une étape dans un processus de construction déjà complexe, ce qui peut représenter un frein. Cependant, c'est surtout un atout, car il permet aux acteurs de travailler en toute confiance, avec l’assurance que le bâtiment fonctionnera de manière optimale et durable.
Question : Quel rôle le commissionnement pourrait-il jouer dans le contexte des politiques de rénovation thermique en France ?
V.L.G. : De nombreux projets de rénovation énergétique ne produisent pas les résultats attendus, car ils reposent sur des obligations de moyens, plutôt que de résultats. Le commissionnement garantit l’atteinte des performances visées. Dans les contrats de performance énergétique, on voit de plus en plus de demandes de commissionnement, et nous espérons que cette pratique devienne une norme pour les bâtiments complexes.
Question : Quels leviers législatifs pourraient renforcer le recours au commissionnement ?
V.L.G. : Les leviers législatifs et réglementaires sont essentiels dans le bâtiment. Le commissionnement est déjà intégré dans les certifications environnementales et certains labels. La question est de savoir si le législateur poussera encore plus loin la qualité dans la construction. Nous pensons que c’est nécessaire pour atteindre les objectifs de réduction de consommation énergétique fixés par le décret tertiaire, qui impose des économies d'énergie mesurables et vérifiables.
Question : Comment voyez-vous l’évolution du commissionnement face aux nouvelles technologies comme l’IA et les smart buildings ?
V.L.G. : Les bâtiments sont de plus en plus connectés, avec des systèmes de gestion avancée et des capteurs intégrés, correspondant à ce qu’on appelle le "smart building". Nous pratiquons le "monitoring-based commissioning" : nous utilisons les données des capteurs pour identifier des économies d’énergie et améliorer le confort. Grâce à l'IA et aux nouvelles technologies, nous pourrons bientôt surveiller les performances de manière continue et aller encore plus loin dans l’efficacité énergétique.
Question : Comment se déroule une mission de commissionnement avec vos clients ?
V.L.G. : Idéalement, le commissionnement commence dès les premières phases de conception, afin d’aider le maître d'ouvrage à définir ses objectifs de performance, puis de les suivre tout au long du projet, jusqu’à la livraison et l'exploitation. Notre accompagnement inclut des optimisations en conception, la supervision des études d'exécution, la gestion des essais techniques, la formation des exploitants et, souvent, un suivi pendant la première année d’exploitation pour assurer les performances énergétiques.
Question : Quels sont les retours de vos clients ?
V.L.G. : Les retours dépendent de l’ambition du commissionnement. Nos missions, qui vont de la documentation des performances à des actions d’optimisation, sont parfois complexes et techniques, et pas toujours bien comprises par des donneurs d'ordres moins spécialisés. Cependant, le marché adopte peu à peu le commissionnement, et le fait que les grands acteurs de l’immobilier tertiaire et les entités publiques en fassent désormais une demande régulière montre que la valeur ajoutée est bien comprise*.*
Question : Y a-t-il des besoins de sensibilisation et de formation autour du commissionnement ?
V.L.G. : Absolument. Bien que la plupart des maîtres d’ouvrage connaissent le commissionnement, il manque une définition commune en France. Nous travaillons avec d’autres bureaux d’études et des entités publiques et privées pour cadrer cette pratique, afin de la rendre plus compréhensible et adaptable aux différents types d’opérations et niveaux d’ambition technique, et garantir ainsi que le coût et le service soient adaptés aux besoins réels.